mercredi 26 avril 2017

Vendredi ou Les Limbes du Pacifique, Michel Tournier - Critique littéraire

Vendredi ou Les Limbes du Pacifique,
Michel Tournier, 1967


·       L’auteur


              Michel Tournier est l’auteur du roman Vendredi ou Les Limbes du Pacifique. Né en 1924 et mort en 2016, il laisse dans nos esprits le souvenir d’un grand philosophe.
              La culture allemande, la musique et la religion catholique possèdent une grande place dans son éducation. Il découvre la pensée de Gaston Bachelard et suit des études de philosophie à la Sorbonne et à l’université de Tübingen. Ne recevant pas son agrégation pour devenir professeur de philosophie au lycée, il se reconvertit, bien qu’il garde ses deux passions : la philosophie, et la photographie. Il devient ainsi journaliste, puis écrivain. Il trouve par cette porte le moyen de faire passer les pensées des grands philosophes, tels Socrate et Kant. Pour son premier ouvrage, Vendredi ou Les Limbes du Pacifique, il gagne le grand prix du roman de l’Académie Française. Deux ans plus tard, il est admis à l’Académie Française. Il part souvent en voyage, s’inspire des lieux et cultures visités, et ainsi continue d’écrire, ce qui a donné naissance à vingt-six autres romans, nouvelles, essais, etc.
              « Ses fables philosophiques sont lisibles à plusieurs niveaux, jusqu’à l’interprétation symbolique, et recherchent l’universalité par le retravail des mythes fondamentaux (Robinson, l’ogre, le nain, les doubles), sous la forme de parcours initiatiques vers une vérité supérieure. », nous raconte un article du site espacefrancais. (http://www.espacefrancais.com/michel-tournier/)

·       Résumé de l’œuvre


              Robinson Crusoé est un jeune homme de York navigant sur la solide Virginie en compagnie de marins commerçants. Dans le prologue, le capitaine, Pieter Van Deyssel, tire les cartes au jeune homme et prédit son avenir, dont les étapes de transformations qu’il va traverser.
              Par une nuit de tempête, ils échouent sur une île inconnue, entre Juan Fernandez et les côtes américaines. Seul survivant, il nomme les lieux « Ile de la Désolation » et commence une vie de désolation et de folie tout d’abord. Sans prendre en compte le temps qui passe, il se lance notamment dans la construction d’un gigantesque bateau qu’il ne pourra mettre à l’eau, ce qui le plonge dans une totale déshumanisation. Puis il se reprend, commence à compter les jours, recueille Tenn, le chien de l’équipage, et commence une vie de réflexion et de civilisation, toujours dans la solitude cependant. Ainsi il construit plusieurs bâtiments civilisés, et reprend l’ascendance sur la nature environnante et Speranza, le nouveau nom qu’il donne à l’île.
              Par la suite, Robinson observe l’arrivée d’indiens qui lui semblent ennemis, et ne s’approche pas d’eux. Il les voit cependant sacrifier un des leurs par le feu. Après leur départ, il renforce ses constructions, doute de son identité, et communique avec Speranza qui devient terre d’amour. La tribu indienne revient ensuite, désigne la victime à sacrifier, mais Robinson sauve le jeune homme grâce à des coups de feu distribué aux autres indiens. Il le baptise Vendredi, jour de leur rencontre, et l’initie à la vie civilisée. L’indien, heureux d’avoir la vie sauve, accepte de devenir son esclave.
              Cependant Vendredi reste d’origine « sauvage », et surprend Robinson par sa culture et ses absurdités. Un jour, par accident, il jette la pipe dans un baril de poudre après que Robinson l’ait surprit fumer. L’explosion détruit malheureusement tout ce qu’avait construit le Gouverneur de l’île, le chien est aussi tué, et ainsi la civilisation de Speranza disparait. Vendredi prend le dessus, et initie Robinson à la vie sauvage. Ils vivent par la suite tels deux frères, et plus tels un maître et son esclave.
              Un jour, un navire anglais, le Whitebird, débarque sur l’île. Robinson apprend alors qu’il vit sur Speranza depuis vingt-huit ans, et raconte son histoire. Cependant, il est devenu étranger à la culture occidentale et à l’avidité, et renonce à quitter son île. Le navire repart. Robinson s’aperçoit alors de la disparition de Vendredi, et est désespéré du retour de la solitude. Cependant, un enfant, le jeune mousse Neljapäev,, est resté sur Speranza, préférant la compagnie de Robinson à celle de l’équipage qui le maltraitait. Robinson, heureux, l’initie alors à la vie sauvage et le baptise Jeudi, jour du repos des enfants.

·       Œuvre de réécriture


              L’histoire commence au début du XVIIIème siècle. Alexander Selkirk, anglais, est retrouvé sur une île des côtes chiliennes où il vient de passer quatre ans de sa vie. Ayant perdu l’usage de la parole et des manières, il redevient peu à peu civilisé et raconte son incroyable aventure. Elle passionne l’occident, et inspire Daniel Defoe (1660-1731) pour son roman La vie et les aventures de Robinson Crusoé (1719). Le mythe est alors créé. Je dis mythe, car par la suite, de nombreux auteurs ont repris le personnage et l’histoire de Crusoé, dont notamment Johann David Wyss avec Le Robinson Suisse (1812), mais aussi Jules Vernes avec L’île Mystérieuse (1874), ou encore Giraudoux avec Suzanne et le Pacifique (1921) et William Golding avec Sa Majesté des mouches (1954), et bien d’autres. Michel Tournier avec ses deux œuvres, Vendredi ou Les Limbes du Pacifique (1967) et Vendredi ou La Vie Sauvage (1971), reprend cette légende ; ainsi ce roman est une œuvre de réécriture.
              Cependant, Tournier fait bien plus que réécrire ce mythe pour le moderniser. Tout d’abord il créer une rupture, en reprenant le nom de Vendredi dans son titre, le plaçant ainsi comme personnage principal, plutôt que le nom de Robinson Crusoé, contrairement à ses prédécesseurs.
              Ensuite, il écrit ce préambule, ou prologue, dans lequel Pieter Van Deyssel prédit l’avenir de Robinson, notamment toutes les étapes par lesquelles le naufragé va passer.
              Puis il procède à tout une réécriture de l’arrivée de Robinson. Alors que celui de Defoe prend conscience de sa situation et s’adapte rapidement tout en ne perdant pas courage, celui de Tournier se perd, désespère, et veut tout d’abord fuir, retourner dans le monde civilisé. Puis il donne de l’importance à toute la réflexion qui l’habite, se transforme en même temps qu’il transforme l’île, tandis que Defoe fait de suite agir son personnage et apprivoiser son environnement.
              Enfin, le Robinson de Tournier s’adapte à la vie sauvage et reste sur l’île après le départ du navire anglais mais sans Vendredi, tandis que celui de Defoe reste civilisé malgré la solitude et l’éloignement, et repart avec le capitaine du bateau anglais ainsi que son ami Vendredi. Par la suite, il reprend aussi les plantations qu’il tenait avant son naufrage.
              Ainsi Vendredi ou Les Limbes du Pacifique est bel et bien une réécriture du roman de Defoe. Cependant l’œuvre de Tournier diffère sur de nombreux points, rendant la lecture des deux différentes et intéressantes.

·       Les grands thèmes du roman


              La civilisation, la solitude, et l’apprentissage sont pour moi trois thèmes important dans ce roman.
              En effet, Robinson perd ses manières dans les premiers chapitres, puis on retrouve les étapes de civilisation dans l’histoire l’Homme lorsque Robinson sort de sa folie et redevient un homme civilisé. Enfin, cette civilisation occidentale est détruite quand Vendredi provoque l’accident, et réapparait avec les marins anglais, avant de disparaitre en même temps qu’eux.
              La solitude est elle aussi très présente. En effet, elle est le seul compagnon de Robinson jusqu’à sa rencontre avec Vendredi, et devient le sujet de plusieurs de ses réflexions. De plus, elle réapparait dans chaque moment de désolation de Robinson, ainsi que quand il apprend que Vendredi est reparti avec le navire anglais, l’abandonnant seul sur Speranza. Elle disparait définitivement peu de temps après, à l’apparition du jeune mousse Neljäpaev.
              L’apprentissage est l’un des thèmes les plus récurrents. Outre les nombreuses découvertes que Robinson fait sur Speranza, il réapprend la civilisation, l’écriture, etc. après sa période de folie et de déshumanisation. Puis il initie Vendredi à la civilisation, ensuite Vendredi lui montre la vie sauvage. Enfin il apprend des anglais depuis combien de temps il est naufragé, et enseigne à Jeudi, à son tour, la vie sauvage.
              Ainsi ces trois thèmes sont présents tout au long du roman, et suivent Robinson dans ses évolutions.

·       Extrait et illustrations


              J’ai choisis un extrait du chapitre 9, à partir de la page 178, alors que Robinson observe Vendredi, sa manière de vivre, etc. :

              « La liberté de Vendredi - à laquelle Robinson commença à s’initier les jours suivants - n’était pas que la négation de l’ordre effacé de la surface de l’île par l’explosion. Robinson savait trop bien, par le souvenir de ses premiers temps à Speranza, ce qu’était une vie désemparée, errant à la dérive et soumise à toutes les impulsions du caprice et à toutes les retombées du découragement, pour ne pas pressentir une unité cachée, un principe implicite dans la conduite de son compagnon.
              Vendredi ne travaillait à proprement parler jamais. Ignorant toute notion de passé et de futur, il vivait enfermé dans l’instant présent. Il passait des jours entiers dans un hamac de lianes tressées qu’il avait tendu entre deux poivriers, et du fond duquel il abattait parfois à la sarbacane les oiseaux qui venaient se poser sur les branches, trompés par son immobilité. Le soir, il jetait le produit de cette chasse nonchalante aux pieds de Robinson qui ne se demandait plus si ce geste était celui du chien fidèle qui rapporte, ou au contraire celui d’un maître si impérieux qu’il ne daigne même plus exprimer ses ordres. En vérité il avait dépassé dans ses relations avec Vendredi le stade de ces mesquines alternatives. Il l’observait, passionnément attentif à la fois aux faits et gestes de son compagnon et à leur retentissement en lui-même où ils suscitaient une métamorphose bouleversante. »
              J’ai choisi cet extrait par sa symbolisation de la dernière transformation de Robinson, celle que je préfère, où il accepte sa vie sur Speranza, l’apprécie, et vit de manière plus sauvage, plus simple.


              J’ai choisi, pour illustrer ce roman, quelques dessins :



              Robinson de son fortin observe les sauvages (Robinson Cursoé, Londres, 1863) de Morgan, Matthew Somerville, dit Matt Morgan (1837-1890), entre 1863 et 1864. Ce dessin fait parti d’une série disponible à l’adresse suivante :




        

      Je n’ai pas trouvé d’auteur ni de référence pour ce dessin. Je transmet donc l’adresse du site sur lequel je l’ai trouvé :





              Mais aussi plusieurs réécritures sous formes d’animation. En voilà deux, l’une sortie au cinéma, l’autre faite par un groupe d’élèves d’une école d’animation :
  •        le long-métrage Robinson Crusoé, de Ben Stassen et  Vincent Kesteloot ;
  •        le court-métrage Du tout cuit ! d’un groupe d’élèves de l’Esma (disponible sous le nom Full Movie HD Cartoon - Robinson Crusoe 3D Animation Short Film à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=eu7k0kSvnUo)

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