Paul Verlaine
- Amies
- Les Fêtes Galantes
- La Bonne Chanson
Poème introductif
La Bonne Chanson, XII
Va, chanson, à tire-d’aile
Au devant d’elle, et dis-lui
Bien que dans mon cœur fidèle
Un rayon joyeux a lui,
Dissipant,
lumière sainte,
Ces
ténèbres de l’amour :
Méfiance,
doute, crainte
Et que voici le grand
jour !
Longtemps craintive et muette,
Entendez-vous ? la gaîté
Comme une vive alouette
Dans le ciel clair a chanté.
Va donc, chanson ingénue,
Et que, sans nul regret vain,
Elle soit la bienvenue
Celle qui revint enfin.
Paul Verlaine, le poète
Paul
Verlaine, monstre de la poésie française, est né en 1844 et est mort à l’âge de
52 ans. Fortement influencé par Baudelaire et par le mouvement du Parnasse, ses
poèmes parlent tout d’abord des malheurs de sa jeunesse ; il écrit les Poèmes
Saturniens (1866) à 22 ans, et se désigne ainsi comme étant un poète maudit. Peu de temps après, il
écrit les Amies (1867), recueil révélant son penchant pour l’amour entre
personnes du même sexe. Sa rencontre avec Mathilde Mauté en 1869 va le
bouleverser, à tel point qu’ils seront mariés un an plus tard. Cet amour
permettra aussi la naissance de deux recueils, Les Fêtes Galantes en
1869 et La Bonne Chanson, poèmes dédiés à Mathilde, en 1870.
Cependant,
sa rencontre avec Rimbaud à Paris cette année-là va tout changer. Fous d’amour
l’un pour l’autre, ils s’enfuiront à Bruxelles avant qu’un drame ne les
sépare : Verlaine tire deux coups de feu sur son amant en juillet 1873
sous le coup de la colère, mettant fin à leur relation.
Suite
à cela, le poète ira deux ans en prison. L’influence de Rimbaud se ressentira
dans Romance sans parole (1874), et sa conversion soudaine à la religion
se verra dans Sagesse (1881), où il intègre aussi quelques poèmes
réalisés en prison et faisant en quelque sorte un bilan de sa vie.
Après
deux derniers recueils de poésie, Jadis et naguère et Parallèlement
en 1884, il écrit un ouvrage d’hommage et de critique, les Poètes maudits,
en 1888, et revient ainsi sur l’évolution poétique des Parnassiens, de
Baudelaire à Mallarmé.
Verlaine,
malgré sa célébrité auprès de ses pairs qui le surnomment Prince des poètes, s’éteint misérablement en 1896 d’une congestion
pulmonaire.
L’amour homosexuel
Les Amies, Sur le balcon
Toutes deux regardaient
s’enfuir les hirondelles ;
L’une pâle aux cheveux de jais, et l’autre
blonde
Et rose, et leurs peignoirs
légers de vieille blonde
Vaguement serpentaient, nuages,
autour d’elles.
Et toutes deux, avec des
langueurs d’asphodèles,
Tandis qu’au ciel montait la
lune molle et ronde,
Savouraient à longs traits
l’émotion profonde
Du soir, et le bonheur triste
des cœurs fidèles.
Telles, leurs bras pressant,
moites, leurs tailles souples,
Couple étrange qui prend pitié
des autres couples,
Telles sur le balcon rêvaient
les jeunes femmes.
Derrière elles, au fond du
retrait riche et sombre,
Emphatique comme un trône de
mélodrame,
Et plein d’odeurs, le lit défait s’ouvrait dans
l’ombre.
Sonnet d’alexandrins du registre
lyrique, ce poème parle d’amour entre deux femmes. Très érotique et donc peu
apprécié à l’époque, il a été écrit par Verlaine peu avant sa rencontre avec
Mathilde, et illustre parfaitement son penchant homosexuel qui se révèlera plus
tard dans sa relation avec Rimbaud par la relation charnelle entre ces deux
femmes.
La Femme
Les Fêtes Galantes, Cortège
Un singe en veste de brocart
Trotte et gambade devant elle
Qui froisse un mouchoir de
dentelle
Dans sa main gantée avec art,
Tandis qu’un négrillon tout
rouge
Maintient à tour de bras les
pans
De sa lourde robe en suspens,
Attentif à tout pli qui
bouge ;
Le singe ne perd pas des yeux
La gorge blanche de la dame,
Opulent trésor que réclame
Le torse nu de l’un des
dieux ;
Le négrillon parfois soulève
Plus haut qu’il ne faut,
l’aigrefin,
Son fardeau somptueux, afin
De voir ce dont la nuit il
rêve ;
Elle va par les escaliers,
Et ne paraît pas davantage
Sensible à l’insolent suffrage
De ses animaux familiers.
Ce poème est composé de cinq quatrains
aux vers à huit pieds et de rimes régulières. D’un thème plutôt classique, il
révèle cependant un mauvais penchant des hommes par la métaphore des animaux
utilisée pour désigner les valets. Ecrit par Verlaine entre les Poèmes Saturniens
et sa rencontre avec Mathilde, au milieu des Amies, il parle d’une femme
rêvée, montrant ainsi le trouble du poète par rapport à ses attirances
physiques.
L’amour
Illustration du thème :
Je l’aime à mourir de Francis Cabrel
La Bonne Chanson, XV
J’ai presque peur, en vérité,
Tant je sens ma vie enlacée
A la radieuse pensée
Qui m’a pris l’âme l’autre été,
Tant votre image, à jamais
chère,
Habite en ce cœur tout à vous,
Mon cœur uniquement jaloux
De vous aimer et de vous
plaire ;
Et je tremble, pardonnez-moi
D’aussi franchement vous le
dire,
A penser qu’un mot, un sourire
De vous est désormais ma loin,
Et qu’il vous suffirait d’un
geste,
D’une parole ou d’un clin
d’œil,
Pour mettre tout mon être en
deuil
De son illusion céleste.
Mais plutôt je ne veux vous
voir,
L’avenir dût-il m’être sombre
Et fécond en peines sans
nombre,
Qu’à travers un immense espoir,
Plongé dans ce bonheur suprême
De me dire encore et toujours,
En dépit des mornes retours,
Que je vous aime, que je
t’aime !
Ce poème, composé de six quatrains de rimes embrassées
chacun, possède des vers de huit pieds exactement. Quinzième billet écrit pour
Mathilde, il montre l’amour qu’éprouve Verlaine pour sa femme. Magnifique
déclaration, le dernier vers se termine en effet par un passage au tutoiement
sur le « que je t’aime ! », faisant ainsi entrer cette œuvre
dans le grand thème de l’amour, et, plus précisément, dans un certain registre
lyrique.
Impressions personnelles
Le premier poème du recueil que j’ai sélectionné (Fêtes
Galantes, La Bonne Chanson précédées des Amies de l’édition
Le Livre de Poche, 2015), Sur le balcon,
m’a quelque peu étonnée. En effet, j’avais déjà lu Mon rêve familier, Chanson
d’Automne et, plus récemment, le sixième poème de la troisième partie du
recueil Sagesse, sans compter quelques autres œuvres à mes heures
perdues, et je savais que Verlaine avait eu une relation avec Rimbaud.
Cependant, je ne connaissais pas encore ce poète perdu dans ses amours que j’ai
découvert tout au long des Amies, mais aussi des deux autres recueils de
ce livre. Passé ce premier temps de surprise, j’ai finalement trouvé agréable
qu’un poète, au XIXème siècle déjà, fasse l’éloge de l’amour
homosexuel, qui, encore aujourd’hui, est mal considéré.
Tout au long de ces trois recueils, j’ai aussi pu découvrir
un poète tourmenté, parfois incompréhensible –comme peut nous le prouver Sur l’herbe, poème que je ne comprends
toujours pas-, mais aussi rêveur et amoureux, comme par exemple dans le premier
poème de son recueil La Bonne Chanson.
J’ai ainsi été tour à tour déboussolée, étonnée, enchantée
et même émue, surtout dans le recueil dédié à Mathilde. Cette expérience fut
belle, et je prends grand plaisir à relire certains poèmes du Prince des poètes.
Maindiaux
Clothilde
1L
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire